Sortir la tête du nuage
Internet est en train de partir en cacahuètes (j'avais envisagé un autre mot en c, à l'origine). Ce n'est pas vraiment nouveau, mais on dirait que tout s'accélère. Et je ne vais pas faire un listing de tout ce qui ne va pas. Je n'ai pas le temps.
Cet article, c'est à la fois un constat et une réflexion de ma part. Autour de mon usage (et éventuellement, du vôtre) du cloud. Du nuage.
Source : eberhard grossgasteiger
J'utilise des outils en ligne. Pleins. Pour communiquer, pour diffuser, pour échanger. Mais j'essaie d'y réfléchir de plus en plus. D'orienter mon usage vers le hors-ligne. Pourquoi ? Pour rester maître de mes usages et propriétaire de ce que je fais. Pour pouvoir en faire ce que je veux.
Imaginez
Vous écrivez. Et tous vos écrits sont stockés sur le cloud. Vous utilisez une application qui s'y connecte, vous permet d'écrire facilement, depuis n'importe quelle machine, de partager ça avec qui vous voulez, de transformer facilement ces textes en epub, de les vendre, des les diffuser, d'obtenir des retours, de pouvoir les versionner. Un bonheur d'utilisation. Qui était peut-être gratuit au début. Qui est devenu payant pour certaines fonctionnalités, ou après un certain volume.
Source : Michael Zunzio
Et puis, un jour un texte a disparu. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte. Mais bizarrement, c'est un texte plutôt orienté politiquement, revendicateur. Ou alors c'est un texte érotique qui explore des relations non conventionnelles. Ou encore quelqu'un a juste signalé votre contenu, et bim. Disparu. Ou bien, tout d'un coup, faut aligner bien plus pour conserver votre accès, et vous n'en avez plus les moyens.
N'imaginez pas trop, ces scénarios existent déjà. Lionel Davoust en parle sur son très bon blog, qui aborde souvent ce genre de sujets.
Ne faites confiance à personne
"Quand c'est gratuit, c'est toi le produit." Et même, parfois, quand c'est payant. Que valent nos données, nos créations ? Surtout quand on les confie à quelqu'un d'autre. Parce qu'utiliser un produit en ligne, sauf exceptions rares, revient à confier ce qu'on en fait à quelqu'un d'autre.
J'utilise moi-même des produits en ligne, parce que je ne suis pas parfait et parce que certains usages font que c'est pratique. Il m'arrive d'utiliser Google Docs pour du partage de documents, par exemple. Mais ce n'est jamais ma source principale. Je garde une copie de mes textes bien au chaud. Et quand je me décide à utiliser un service en ligne, je me renseigne : quelles sont les possibilités d'import et d'export ? Puis-je récupérer ce que j'y crée ?
Par exemple, je me suis récemment inscrit sur letterboxd, où j'enregistre les films que je visionne, les films que je veux voir, les recommandations que l'on me fait. Mais je savais, en y mettant les pieds, que je pouvais facilement récupérer ces données, ces listes que j'y établirai. Si jamais le service ne me convient plus, si je veux en faire autre chose, si je veux basculer ailleurs.
De même, toute ma création autour du jeu de rôle, que ce soit mes jeux, mes scénarios, mes traductions sont rédigées localement. Il m'arrive d'en transférer sur des outils en ligne, pour partager, pour relecture ou autre. Mais à l'origine, chaque texte est enregistré au format Markdown sur mon poste. J'utilise Obsidian pour les éditer, mais je pourrais changer du jour au lendemain avec très peu d'impact. Parce que les fichiers sont dans un format ouvert. C'est un choix totalement conscient que j'ai mené, qui m'a demandé de faire des tests.
Le jour où les conditions d'utilisation d'Obsidian ne me conviendront plus, je passerai à autre chose. Toutes mes données nécessaires seront encore disponibles. Si tout votre travail est en ligne, ou utilise un logiciel propriétaire avec un format propriétaire, réfléchissez-y. Mettez en place des procédures de sauvegarde, non pas uniquement de vos fichiers, mais des données brutes, dans des formats accessibles.
Physique et numérique
En 2024, je suis largement revenu à une consommation de médias physiques. Je fais grand usage de la médiathèque, de son bac DVD, mais j'ai également fait la démarche de réfléchir aux séries TV que je voulais posséder, dans le but de les revoir bientôt, ou dans quelques années, ou dans le but de les partager avec mes proches. Et sur les récentes, disponibles sur les plateformes de streaming, que j'utilise abondamment, je me demande si ce sera possible. Vouloir replonger dans une série, et découvrir qu'elle n'est disponible que sur une énième plateforme à laquelle il faut s'abonner, et que peut-être dans quelques mois tout ça disparaîtra, c'est décourageant. Et c'est inquiétant, d'un point de vue culturel.
Source : Eyüpcan Timur
Bien sûr, tout n'est pas à conserver, et par le passé pleins de choses ont disparu. Et il n'est pas possible de tout voir, tout lire, tout écouter. Mais il y a des choses qui sont chères à mes yeux, que je veux pouvoir revoir, relire, réécouter régulièrement. Ces choses, je ne veux pas les lier à un compte en ligne quelque part, qui du jour au lendemain peut m'en interdire l'accès.
Achetez des CD de vos groupes préférés (en plus, ils toucheront plus qu'en les écoutant sur Spotify). Récupérez les DVD de vos films favoris. Assurez-vous de garder un moyen de profiter de ces médias autrement que par le tout en ligne. Déconnectez-vous.
Pour ma part, je n'écoute rien en ligne, par exemple. J'écoute la radio (bon, parfois en ligne). Ma bibliothèque musicale est faite de CD et de fichiers que je fais naviguer entre mes appareils. Je télécharge les podcasts que je veux écouter, et je réfléchis ensuite à leur conservation ou suppression.
Réfléchissez-y. Quel album seriez-vous désemparé de ne plus retrouver sur votre service en ligne favori ? Vous en avez un ? Et si vous l'achetiez et le possédiez vraiment ?
Des pistes
Bon, cet article était un peu écrit à la volée. Sans véritable plan d'action, ni de réflexion. Mais il avait pour but d'exposer une réflexion que je mène actuellement sur mes usages, et sur ceux de mon entourage.
Avant de commencer à utiliser un logiciel, un service, je commence à me poser la question : "Que se passera-t-il sur si le service s'arrête ?" Pour les logiciels, par exemple, j'essaie de me forcer à regarder du côté des logiciels libres. Mais aussi les logiciels hors-ligne, sans connexion requise. Qui peuvent continuer à fonctionner sur mes environnements sans nécessiter une mise à jour qui me bloquerait dans mon usage.
L'indépendance numérique. Elle est loin d'être acquise. Elle est cadenassée, mais on peut l'avoir bout par bout. Sans forcément être informaticien (ce que je suis, ça aide).
N'hésitez pas à m'interpeler autour de ces sujets sur les réseaux sociaux ou ailleurs. D'autres articles autour du sujet pourraient émerger, pour discuter plus pratiquement de certains usages et de ce que j'ai mis en place.