Le Repaire de Gulix

Lecture de Rôle 53 - The Silt Verses

The Silt Verses est un jeu de rôle Carved from Brindlewood. J'ai choisi de le présenter ici en le comparant aux autres jeux utilisant ce système, notamment Brindlewood Bay, Public Access ou The Between.

Certaines bases du systèmes ne sont pas redécrites. N'hésitez pas à replonger dans les retours sur les jeux pré-cités pour mieux les découvrir.

À l'origine, The Silt Verses, c'est un podcast. Une fiction audio créée par Jon Ware et Muna Hussen, dont la première saison fait 15 épisodes. Une fiction d'horreur fantastique. Disponible uniquement en langue anglaise.

The Silt Verses

Avant de lire le jeu de rôle, je n'avais jamais écouté le podcast. J'avais quelques notions de son sujet, via des discussions sur le discord de The Gauntlet, via des memes, notamment à base de crabes. Et je savais qu'on abordait la folk horror. Un genre dans lequel je n'ai que peu de références, mais qui m'attire.

Et donc, l'équipe de The Gauntlet a annoncé travailler sur ce jeu, le premier jeu à licence de l'éditeur. Un projet mené par Gabriel Robinson (Token, Candlelight, ...), avec Jason Cordova. Qui repose sur le système maison Carved from Brindlewood.

Le jeu est sorti il y a plus d'un an, maintenant (en novembre 2023), mais j'avais d'autres marrons à tirer du feu avant de m'y plonger sereinement (j'avais exploré par petits bouts). Et donc, maintenant, je peux en parler.

L'univers

Avant de parler du jeu en lui-même, parlons de l'univers. Sans forcément parler du podcast. Je n'ai, à l'heure où j'écris ces lignes, écouté que le premier épisode de la série (mais je compte bien poursuivre). Et c'est après avoir lu le jeu. Donc, je vais parler de l'univers tel qu'il est présenté dans le jeu.

Le jeu se déroule sur The Peninsula. Une nation isolée, refermée sur elle-même, avec une grosse ville, Glottage, sa capitale. Mais aussi et surtout beaucoup de plus petites villes, voire villages. Eparpillés dans une campagne légèrement désolée. C'est un des aspects folk horror. Ces communautés isolées, repliées sur elles-mêmes. Au niveau de l'époque, cela ressemble à la nôtre, peut-être quelques années en arrière sur certains points. L'hyper-communication par les réseaux est absente (même si on entrevoit quelques éléments à ce sujet).

Capture intérieure du jeu

Et puis il y a les Dieux. Par milliers. Des dieux autorisés. Des dieux interdits. Des dieux pour tous les aspects de la vie. The Saint Electric, par exemple, est celle qui permet que l'électricité fonctionne. Certaines familles agricoles ont leur propre dieu des récoltes, les voyageurs vénèrent un dieu des égarés pour ne pas perdre leur chemin. Mais, ce qu'il faut intégrer, c'est que ces dieux existent et sont tangibles. Par milliers. Et les autorités essaient de les contrôler, pour éviter des débordements.

Et les Dieux ont faim. Toujours. Un Dieu a besoin de sacrifices pour accorder ses miracles. L'horreur débarque ici. Les Anges sont les créatures corrompues par les Dieux, par leur essence, qui servent leurs besoins. Généralement de faim. Les Saints sont des humains qui ont été touchés et modifiés par l'essence d'un Dieu.

Et c'est dans ce cadre que nous allons jouer. A enquêter, affronter, rencontrer des dieux et leurs envoyés. A travailler pour le gouvernement, pour éviter les débordements.

Le jeu

Dans The Silt Verses TTRPG, on joue des Custodians. Engagés par un bureau lié au gouvernement, de gré ou de force, ils sont envoyés en mission à divers endroits de The Peninsula, pour enquêter et résoudre des problèmes souvent liés à des divinités.

Les Custodians partagent une caractéristique : ils sont tous liés à un Dieu, mais leur foi est vacillante. On parle ici des livrets de personnages : chacun d'eux correspond à une foi, on parle d'ailleurs de Faith Sheet, qui vient se greffer à une feuille de personnage plus classique, presque vierge. On retrouve les éléments classiques d'un personnage de Carved from Brindlewood :

The Silt Verses

Et puis, il y a les Manœuvres spécifiques à chaque Foi. Qui amènent l'horreur et l'étrange à un niveau élevé. The Trawler Man, un Dieu lié aux marées, donne le pouvoir d'ingérer des choses pour les faire disparaître, comme les marées qui recouvrent tout. Puis telle la marée qui se retire, de recracher de l'eau et de la vase et d'en tirer quelque chose, un Indice, un Objet. Suivre la foi de The Saint Electric permet de devenir un conduit vivant de l'électricité. Les fervents de The Pox Martyr, eux, absorbent les maux et les blessures de leurs concitoyens pour les soulager, prenant sur eux ces afflictions.

Ces Faith Sheet, qui sont en quelque sorte les classes de personnage, donnent le ton. Lisez-les pour découvrir les personnages et l'étendue de leurs capacités, mais aussi les questionnements qu'ils auront à faire face (via les Versets). Chaque Foi est unique, explore un concept assez fou et propose ses propres mécaniques. On se rapproche de ce point de vue de The Between.

Une prière à The Saint Electric

Au niveau du système, par rapport à ses prédécesseurs, The Silt Verses propose quelques nouveautés plutôt intéressantes, qui cadrent parfaitement avec son ambiance.

Par exemple, plus de phases de Jour ou de Nuit. Mais la structure en deux manœuvres distinctes, l'une plus dangereuse que l'autre, persiste. On a la Manœuvre Voilée (The Veiled Move), qui correspond à la manœuvre de Jour habituelle. Et il y a la Manœuvre Révélée (The Revelation Move), plus dangereuse, qui s'activera dès lors qu'une influence divine plane sur la scène. Chaque rencontre avec une Divinité, un Ange, un Saint ou même un simple Miracle entraînera un "C'est pire que ça...".

L'autre grand changement, ce sont les voyages. Les Custodians vont voyager entre leurs différentes missions, en mettant une en pause pour s'intéresser à une nouvelle (les missions s'accumulent si on ne les traite pas rapidement). Le groupe pourra se séparer. Et chaque voyage déclenchera la Manœuvre de Voyage (Journey Move) mais aussi une Journey Phase. Une phase à part, lors de laquelle les Custodians découvriront l'univers : un diner, un panneau publicitaire, un chantier et d'autres. Plusieurs événements sont proposés, qui déclencheront quelques scènes, et permettront généralement aux Custodians de se soigner (en enlevant leurs Conditions). Et sans voyage, pas de réelle possibilité de se reposer. Il faudra naviguer entre les communautés. Un game design très intéressant, qui pousse mécaniquement et ludiquement vers un style d'histoire particulier.

Les mystères

The Silt Verses RPG vient avec 8 missions (Assignments). Et une Conspiration, qui correspond au cadre de campagne comme on peut le connaître avec les autres jeux Carved from Brindlewood.

Les mystères, à mes yeux, sont au cœur de la proposition de jeu et forment le cadre de jeu. Ce sont les mystères que vous sélectionnerez qui donneront vie à votre Peninsula. C'est via les mystères qu'on plonge dans cet univers, qu'on découvre son fonctionnement, ses spécificités, ses thématiques. Son histoire, parfois, aussi.

Chaque Mission explore une communauté et un incident autour d'une (ou plusieurs) divinité. On a de l'enquête autour de dieux non déclarés ou de l'utilisation non autorisée d'essence divine (The Hungering Roots, The Dusk Mother, The Floating Market), le confinement d'activité divine incontrôlée (The Bowered Companion, Young Joly Junk, The Sleepless Warden), un affrontement entre deux fois à résoudre (The Skyward Sprawl) ou encore une infiltration des plus dangereuses (The Miraculous Clinic of the Bleeding Witness).

Reconnaissez les signes

Deux mystères m'ont particulièrement marqués. Dans The Bowered Companion, les Custodians sont envoyés enquêter sur une petite ville au bord d'une route commerciale, où des camions de transport ont disparu dans le brouillard. Un Dieu des Égarés serait affamé, ayant été négligé depuis des années. The Mist. Se perdre dans les bois. Une ville qui tombe en décrépitude. Et un besoin capitaliste de rouvrir ces routes (ils sont en partie envoyés par la société de transport).

Dans The Sleepless Warden, les Custodians sont envoyés enquêter sur un Ange de Bataille, une antique machine de guerre alimentée par de l'essence divine, normalement inerte, mais qui s'est réactivée dans le village côtier où elle trônait. Un village où la peur de l'étranger règne. La guerre a pris son dû sur les habitants du coin, même si elle n'a jamais atteint ses frontières. Mais l'ambiance est à la suspicion, au rejet de l'extérieur.

Des thèmes forts. Contemporains. Durs. Qui m'ont donné envie de plonger dedans.

J'ai eu plus de mal à imaginer comment jouer The Skyward Sprawl, une mission où un affrontement (direct, létal) a lieu entre deux fois, dans un immeuble devenu presque lui-même une carcasse divine. Du Body-building-horror.

Mais cette variété de Missions permet vraiment de prendre le jeu à son compte, sachant que des scénarios supplémentaires existent, officiels via le Patreon mais aussi en Third-party.

Trust No One

Et puis il y a la campagne. La Conspiration. Qui montre un groupe qui suit avec intérêts les opérations des Custodians. Qui reste éloigné, au début, mais qui va assez vite rencontrer en conflit plus direct, et qui va amener à un final très actif. Juste à la lecture, je trouve le mystère final, qui est plus construit que ce qu'on trouve dans les jeux précédents, un peu plus action que le reste du jeu. Mais il est construit avec assez de blancs pour bien s'accorder avec chaque campagne.

Et puis, le jeu a été pensé pour que d'autres Conspirations puissent facilement être greffées dessus, à la place. Comme pour les Masterminds de The Between.

Conclusion

Quelle découverte ! L'équipe de The Gauntlet montre qu'on peut exposer un univers original, très original, sans proposer des pages et des pages de lore. C'est vraiment impressionnant. L'univers se dévoile en émergence, via les Faith Sheets et les pouvoirs et questionnements des personnages. Via les mystères et les thèmes qu'ils abordent. Via les Journey Scenes et les instantanés du monde qu'elles proposent.

Cela demande de s'immerger dans le jeu pour avoir une vision de l'univers, mais cela permet aussi facilement de s'approprier l'univers en n'utilisant que les éléments qui nous branchent. Il est facile de mettre de côté certaines fois, certains mystères qui ne correspondent pas à ce qu'on veut raconter.

Au niveau système, le Carved from Brindlewood est robuste et tient parfaitement la route. Les mystères sont bien fournis et différents, certains proposant des mécaniques particulières intéressantes.

Ce jeu est particulier. Dans son univers. Dans sa proposition. Dans son approche. Toutes les tables n'auront pas forcément d'appétence pour les thèmes abordés, et c'est important de le souligner : discutez en amont avant de vous y lancer. C'est à mes yeux un grand jeu d'horreur, qui sait mélanger l'intime, par la foi de chaque personnage, avec l'horreur rampante qui se cache dans les recoins oubliés. Je découvre la folk horror avec, et je découvre que j'aime ça.

The Silt Verses est disponible sur DriveThruRPG